Par Grégoire SPIESSER
Tout est parti alors que j’avais une dizaine d’années. Passionné d’uniformes militaires, j’ai toute mon enfance rêvé devant la collection de coiffures et d’armes de mon père que ce dernier avait constitué en achetant quelques pièces à Varades (49), chez Madame Hellard, la « revendeuse », une vieille dame passionnante qui possédait là un bric-à-brac à faire pâlir tous les chineurs. Combien de fois ai-je arpenté ce hangar à la recherche d’un trésor…Dans cette collection, à Château-Coin (BAUGE – 49), chez mes grands-parents maternels, figuraient en bonne place un magnifique képi et une épée du service médical. « C’est celui et celle du Docteur SOURICE, mon grand-père, celui qui m’a soigné en 1950 alors que je m’étais gravement blessé à la jambe avec des ardoises, en tombant dans une rivière lorsque j’étais louveteau » m’avait précisé mon père.
Cette petite collection comportait aussi, je peux me souvenir de chaque pièce, un casque à pointe de troupe prussien modèle 1895 (cadeau de Marie SOURICE, la fille de Jules SOURICE à mon père, en souvenir de l’Alsace dont notre famille était originaire) , une épave de casque de dragon 1872/74, une casquette « de facteur » en fait véritable bon képi BH de sous-officier, un képi d’officier de Saumur et quelques armes comme un lance fusée allemand LP42 dont la peinture noire ajoutée à priori postérieurement masquait le marquage et qui révèlera sa véritable identité des années plus tard.
Des années ont passées depuis, le virus de la collection ne m’a jamais vraiment quitté et j’ai récemment commandé chez De Bello l’ouvrage mythique des 150 ans de képi français. Antoine Ibanez dans nos échanges me propose donc de rédiger un article. Je choisis comme sujet d’étude Jules SOURICE.
Jules SOURICE naît le 10 juillet 1878 à ANDREZE (49). Il étudie la médecine en interne à ANGERS, puis à PARIS et à VERSAILLES en externe. Il rejoint les drapeaux le 14 novembre 1899 au 135°RI. Comme tous les étudiants en médecine il n’effectue qu’un an de service militaire au lieu des 3 requis à cette époque (il fallait préparer la revanche). Nommé médecin auxiliaire le 12 août 1902 de la 9ème section d’infirmiers militaires de la 9ème armée, il passe dans la réserve le 1 novembre 1902. Le 4 novembre, il est affecté au 72° RI. Il s’installe à Saint-Florent-Le-Vieil, village perché sur le Mont Glonne surplombant la Loire entre Nantes et Angers, connu pour son abbatiale mais surtout, pour les amateurs d’histoire militaire, comme le lieu de départ des Guerres de Vendée, le 12 mars 1793.
BONCHAMPS, le Général Vendéen y est enterré, ayant succombé à ses blessures au moment du passage de la Loire, le 18 octobre 1793. Il pardonne juste avant d’expirer les prisonniers républicains et leur évite ainsi l’exécution. Fuyant l’armée Républicaine, les vendéens traversent la Loire pour rejoindre Granville dans l’espoir d’une aide anglaise, c’est la virée de Galerne, le début de la fin de l’insurrection vendéenne.
Le 25 octobre 1904 Jules SOURICE épouse Marie Ménard, d’Ingrandes. De 1905 à 1915 le couple donne naissance à six enfants dont deux meurent en bas âge. Il est nommé médecin aide major de 2ème classe de réserve de la 9ème région le 25 mars 1905, puis promu médecin aide major de 1ère classe le 27 juin 1911.
Le 3 Août 1914, il rejoint le 71ème Régiment d’Infanterie Territoriale. Il est affecté à l’hôpital complémentaire n° 28, à Angers dont l’annexe, centre de convalescence pour officiers, est située à la communauté des sœurs de l’Esvière.
Le 5 juillet 1915, il reçoit une lettre de félicitation du Général Emmanuel LEFEVRE d’ORMESSON, (pour la petite histoire, descendant du Marechal d’empire de GROUCHY 1766-1847), commandant des dépôts d’infanterie et de la 7ème et 8ème subdivision de région (Angers) pour la naissance de sa fille Renée SPIESSER (03/07/1915).
Le 3 février 1916, il est mis à la disposition de la 18ème région, et affecté à l’hôpital municipal de Dax.
C’est pendant la deuxième partie de la guerre qu’il se rapproche du front. Le 4 juillet 1916 il rejoint l’hôpital complémentaire n° 2 de Chalons sur Marne. Nous avons retrouvé un agenda de 1916 où il prenait ses notes à l’aide de croquis sur les fractures et les méthodes pour les soigner, avec notamment la technique des plâtres de marche, très légers qui permettait de continuer à mouvoir le membre pour entretenir « le vivant » et accélérer la convalescence.
Le 4 août 1916 suivant il est affecté à l’hôpital auxiliaire n° 26 de Bar le Duc.
En janvier 1917 il exerce à l’ambulance 1/87. En mars 1917 il est affecté à l’hôpital d’origine d’étape HOE 36/1. Les HOE sont censés absorber les flots de blessés produits par les grandes offensives, forts d’au minimum 800 places et de 15 à 18 équipes chirurgicales.
En mai 1917 il est à l’ambulance 448, centre de fractures.
Suite à cette période proche des combats et à cause de convalescence, il repart à l’arrière à Tours. Le 21 septembre 1917 il est chargé d’assurer le service médical à Vatan (Indre) dans l’hôpital bénévole n° 37 bis. Le 9 novembre 1917 il est affecté à l’hôpital militaire de Châteauroux comme assistant de chirurgie.
Le 17 juillet 1918 il est médecin chef à l’hôpital bénévole 130 bis de Doué la Fontaine. Le 26 décembre 1918 il est à l’hôpital complémentaire n° 15 de Poitiers.
Pierre DAVY historien et originaire de Saint Florent me confiait récemment qu’il avait été surpris par ses très nombreuses affectations. Il les a résumé sur cette carte.
Pendant ces 4 années de conflit, mon arrière-grand-père devint un référent dans le traitement des fractures. Il a toute sa vie durant mis à profit ses connaissances pour soigner son prochain, comme cette exilée Polonaise Anne Ducornetz réfugiée de Dunkerque, logée dans la maison rue du Four à Saint Florent le Vieil dès 1940. (Voir à ce sujet : Pierre DAVY. Subir et Maudire, Journal d’Anne MASSOT 1940-1944, Femme de la bourgeoisie de Saint Florent le Vieil sous l’Occupation en Anjou. Le Petit Pavé, 2016, 450 p). Quasi paralysée, elle sera finalement guérie grâce par ses soins. Des années plus tard, mon père me confiait en souvenir sa valise de médecin dans laquelle il transportait son précieux matériel médical.
Remerciements: cet article n’aurait pas pu être écrit sans le travail de l’association d’histoire locale de St Florent et plus particulièrement aux recherches de Pierre DAVY, historien. Merci aussi à mes oncles Pierre et Paul SPIESSER qui transmettent la mémoire familiale aux jeunes générations.